Projet de loi 3 : défendre nos droits… sans fermer les yeux sur nos propres réalités

Depuis le dépôt du Projet de loi 3 (PL 3), le débat est vif. Le gouvernement parle de transparence, de démocratie et de bonne gouvernance. Les syndicats parlent d’ingérence, d’atteinte à l’autonomie et d’affaiblissement du pouvoir collectif.

Mais il y a une autre réalité, que plusieurs membres expriment ouvertement :
oui, une partie importante de l’argent syndical sert aussi à faire vivre un cercle organisationnel fermé.

Congrès, déplacements, permanents, consultants, salaires…
Pour plusieurs travailleurs sur le plancher, l’impression est claire :

« On paie beaucoup… mais ce n’est pas toujours nous qui en voyons les bénéfices directs. »

Et cette impression n’est pas inventée. Elle existe. Elle est réelle. Et elle doit être nommée.

Mais la vraie question n’est pas seulement :

« Est-ce que certains syndicats dépensent trop à l’interne ? »

La vraie question est surtout :

« Est-ce que la solution doit venir des membres… ou du gouvernement ? »


Ce que le PL 3 change concrètement

Le PL 3 impose notamment :

  • La publication détaillée des états financiers
  • Des audits comptables obligatoires selon la taille du syndicat
  • La divulgation des salaires et dépenses importantes
  • La séparation des cotisations en deux parties :
    • Une cotisation « principale » (conditions de travail)
    • Une cotisation « facultative » (luttes sociales, juridiques, politiques)
  • Des obligations de votes au scrutin secret avec délais minimaux

Sur papier, tout cela semble viser une plus grande transparence.
Mais dans la réalité, cela entraîne aussi :

  • Plus de frais administratifs
  • Plus de bureaucratie
  • Moins de rapidité d’intervention
  • Moins de ressources disponibles pour les luttes collectives

Et surtout : un glissement du contrôle des membres vers le contrôle de l’État.


Oui, il existe des dérives internes. Et il faut les corriger.

Soyons honnêtes.

Dans plusieurs organisations syndicales, il existe :

  • Des postes très confortables
  • Des structures lourdes
  • Des habitudes de dépenses internes qui profitent surtout au haut de la pyramide

C’est une réalité. La nier ne fait que creuser le fossé entre la base et la direction.

Mais ces dérives doivent être corrigées par les membres, pas par le gouvernement.
Par :

  • Des assemblées plus fortes
  • Des redditions de comptes réelles
  • Des changements de dirigeants quand c’est nécessaire
  • Une pression démocratique interne constante

Le syndicat appartient aux membres. Pas à l’État. Pas aux permanents.


Le vrai danger du PL 3

Le PL 3 ne cible pas seulement les abus.
Il affaiblit l’ensemble du cadre syndical, incluant les syndicats qui fonctionnent bien.

Et quand le cadre collectif est affaibli :

  • Ce n’est pas la direction syndicale qui souffre en premier
  • Ce ne sont pas les permanents
  • Ce sont les travailleurs ordinaires

Moins d’argent pour les luttes =
Moins d’avocats =
Moins de moyens de pression =
✅ Employeur plus fort
❌ Membre plus vulnérable


« Mais au moins, on va savoir où va l’argent »

Oui. Et c’est le seul vrai avantage clair du PL 3.

Mais la question est :

Est-ce qu’on est prêts à affaiblir notre pouvoir collectif
juste pour obtenir une transparence que nous pouvons déjà exiger entre nous ?

La transparence n’exige pas automatiquement l’intervention du gouvernement.
Elle exige :

  • Des membres qui posent des questions
  • Des dirigeants qui rendent des comptes
  • Une culture démocratique forte

Le piège dans lequel il ne faut pas tomber

Beaucoup de membres se disent :

« S’ils abusent, tant mieux que le gouvernement les surveille. »

Le problème, c’est que :

  • Le gouvernement ne surveille pas pour protéger les membres
  • Il surveille pour réduire l’autonomie syndicale
  • Et cette perte d’autonomie sera très difficile à regagner

C’est un précédent dangereux.

Aujourd’hui, c’est la transparence.
Demain, ça peut être :

  • Le droit de grève
  • Les moyens de pression
  • Les mobilisations

Une position mature, lucide et équilibrée

On peut — et on doit — tenir ces deux positions en même temps :

✅ Exiger plus de transparence à l’intérieur de nos syndicats
✅ Refuser que le gouvernement nous enlève le contrôle de notre outil collectif

Ce n’est pas contradictoire.
C’est même la seule position réellement responsable.


Pourquoi la mobilisation est légitime

La mobilisation contre le PL 3 :

  • Ne vise pas à protéger des privilèges
  • Ne vise pas à cacher des dépenses
  • Elle vise à protéger :
    • Le rapport de force
    • La capacité d’agir vite
    • L’indépendance collective
    • La protection à long terme des travailleurs

On peut vouloir un syndicat plus transparent
sans accepter un syndicat plus faible.


Conclusion

Le PL 3 pose une vraie question :

Qui doit contrôler l’outil syndical ?
Les membres… ou le gouvernement ?

Oui, il faut corriger nos défauts internes.
Mais non, la solution ne peut pas être de livrer notre pouvoir collectif à l’État.

S’affaiblir volontairement aujourd’hui,
c’est affaiblir nos protections de demain.

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